Visite de la Fondation H

La Fondation H est une fondation malgache d’art contemporain. ‍ Elle a été créée à Antananarivo en 2017 à l’initiative de l’entrepreneur et mécène Hassanein Hiridjee, convaincu que l’art et la culture ont un impact sociétal fort et permettent une ouverture critique au monde. Elle est reconnue d’utilité publique depuis 2018.

Site Internet

Photo de l'entrée de la Fondation H

Nous avons visité cet espace en famille, cet article présente une partie des oeuvres que nous découvert à cette occasion.

L'entrée et les visites des expositions étaient gratuites et ouvertes à toustes.

Yinka Shonibare, Safiotra (Hybridités)

L'artiste britannico-nigérian présente ici sa première exposition monographique sur le continent africain à l'invitation de la fondation autour de l'hybridité, le terme malgache “safiotra” désignant la fusion de deux êtres pour créer une nouvelle entité tout en héritant de leurs caractéristiques propres.

L'exposition rassemble des oeuvres crées au long de ses 20 ans de carrière, explorant les intersections entre les sociétés, les cultures et les questions coloniales.

Photo de l'oeuvre accueillant les visiteurs. Un mur entier est peint en bleu ciel sur lequel des cercles de wax ornés de rayons au bout sont fixés des animaux

La wax, tissu d'origine indonésienne, produit en Hollande et très utilisé en Afrique est omniprésente dans ses oeuvres, directement avec le tissu ou par ses motifs, comme symbole de ces marqueurs culturels du passé colonial que les peuples se réapproprient.

Dès la première salle, il est utilisé sur des statues et une oeuvre monumentale recouvrant tout un mur de la salle de cercles de wax ornés d'animaux symbolisant la diversité de la faune africaine.

Photo de la statue d'un astronaute ou un scaphandrier habillé d'une combinaison en wax portant sur son dos un filet contenant divers objets et documents

Dans cette même salle, un astronaute ou un scaphandrier porte sur son dos un filet contenant divers objets liés au voyage (appareil photo), à la vie quotidienne (marmite, instruments de musique, jeux) et des documents d'archive malgaches (livres, photographies, brochures). En mêlant éléments modernes et traditionnels, cette oeuvre m'a évoqué la modernité dans laquelle sont plongées ou propulsées les cultures traditionnelles portant littéralement sur leur dos leur héritage en avançant vers l'avenir.

Photo de trois statues peintes avec des motifs wax

Les suivantes qui m'ont particulièrement marquée sont trois statues sur lesquelles ont été peint des motifs wax. Le cartel nous apprend que ces statues s'inspirent des monuments publics célébrant les figures du colonialisme qu'on retrouve à Londres et dans les capitales européennes plus largement. Ici c'est Winston Churchil, la Reine Victoria et Herbert Kitchener qui se voient recouverts par les motifs que l'artiste affectionne. Elles m'ont immédiatement évoqué les déboulonnages de statues de figures coloniales et esclavagistes comme Victor Schoelcher et Joséphine de Beauharnais à Madinina (Martinique) ou d'autres personnalités esclavagistes en Guyane, aux États-Unis et dans bien d'autres endroits du monde qui ont subi l'impérialisme européen, l'esclavage et l'exploitation coloniale.

Photo d'une bibliothèque remplie de livres dont les couvertures sont recouvertes de tissu wax et sur les tranches desquelles sont écrits les noms de personnalités ayant façonné l'Afrique post-coloniale

Plusieurs tableaux et d'autres statues occupent différents espaces, mais l'oeuvre sur laquelle je me suis attardé ensuite est une installation, The African Library, une bibliothèque comportant 6000 livres dont les couvertures sont recouvertes de wax et sur la tranche desquelles sont écrits les noms de personnalités ayant façonné l'Afrique post-coloniale. J'y ai reconnu plusieurs noms de leaders indépendantistes comme Amilcar Cabral, personnalités politiques comme Didier Ratsiraka ou Aminata Touré, mais aussi des artistes comme Gaël Faye et Fou Malade ou des sportifs comme Seydou Keita. L'installation est accompagnée d'un support numérique permettant de parcourir l'ensemble de ces noms et d'en apprendre plus sur la vie et les réalisations de ces 6000 personnalités.

Cette installation permet de matérialiser et visibiliser la quantité et la diversité des personnes ayant contribué au rayonnement du continent africain dans le monde et donne des raisons d'être fier⋅e d'en être issu en changeant le regard qu'on peut porter sur les contributions africaines à l'histoire et la culture mondiale, à rebours du discours politique qui prétendait que “l'homme africain n'est pas assez rentré dans l'Histoire”.

Photo d'une machine volante créée avec du tissu wax

Les dernières oeuvres exploraient le double sens du mot alien qui peut signifier en anglais étranger ou extra-terrestre, à travers des statues représentant des extra-terrestres toujours recouverts des motifs wax et une machine volante créée avec du tissu également orné des mêmes motifs.

Roméo Mivekannin, Correspondances

L'artiste franco-béninois présente ici des oeuvres réalisées en partenariat avec la brodeuse Harivololona Rasamison et les ferronièr⋅es de l'atelier de Finoana Ratovo dans une volonté de faire dialoguer ses univers personnels, de la culture béninoise de laquelle il est issu à Toulouse, sa ville d'adoption jusqu'à Antananarivo qui l'a accueilli pour cette exposition sous le commissariat de Hobisoa Raininoro.

Photo d'une installation composée de 67 sculptures verticales en métal alignées en deux rangées dans un couloir de 20 mètres de long

La première installation présente des autels portatifs vodous appelés asen qui servent à communiquer avec les ancêtres et font écho aux autels verticaux présents dans la culture malgache. Réalisées à l'aide de fers à béton, de tubes et de pièces de métal plates, ces sculptures inspirées d'un rêve de l'artiste et conçues comme un contre-rituel, permettent à travers un parcours initiatique de réinscrire dans l'espace d'exposition des pratiques et principes mystiques effacées par l'évangélisation et la colonisation qui les ont diabolisé, détourné ou méprisé.

Il s'agit d'un hommage aux personnes disparues, à nos disparus, aux ancêtres. En tissant le lien entre Madagascar, lieu paradigmatique du va-et-vient de cultures venues d'Asie, d'Europe et d'Afrique, et le continent africain, cette oeuvre parle du départ et du retour de l'art de rendre de nouveau présent⋅es cell⋅eux qui sont déjà parti⋅es. Roméo Mivekannin

Chacun des autel est orné d'un motif empli de symbolique poussant à l'interprétation, questionnant le rapport à la vie, à la mort, aux racines et aux ancêtres, mettant en avant une culture trop souvent réduite à un folklore autour des zombis dans la culture populaire occidentale, ici représentée dans une complexité qui pousse à la réflexion spirituelle.

Photo d'une installation composée de large pièces de tissu brodés sur lesquels sont reproduites des cartes postales de l'époque coloniale présentant des femmes souvent sexualisées dont les visages ont été remplacés par celui de l'artiste. Le texte écrit sur les cartes psotales figure également sur la broderie.

Après ce premier couloir, on découvre dans une vaste pièce une installation faite de plusieurs broderies reproduisant des cartes postales de l'époque coloniale présentant des personnes “indigènes”, souvent des femmes, souvent sexualisées, dont les visages ont été remplacés par celui de l'artiste accompagnées du texte de la carte postale.

Ce genre de carte postale était très courante à l'époque coloniale dans tous les territoires occupés, mettant en scène les peuples colonisés et surtout les femmes dans des postures de soumission ou des reproductions de “scènes de vie” telles fantasmées par les occupants et étaient envoyées en métropole aux familles et amis des colons. L'artiste a souhaité préservé la dignité des personnes représentées en substituant son visage aux leurs.

Les textes des cartes postales ajoutent à la violence et l'objectification des images une verve dégueulasse dans laquelle des personnes sont réduites à l'état de nourriture ou d'objets pour décrire les situations d'exploitation humaine et sexuelle auxquelles étaient assujettis les peuples dominés par la force et la barbarie ayant accompagnées ces conquêtes coloniales qui se prétendaient, et se prétendent parfois toujours dans les esprits les plus ignorants, “civilisatrices”.

[...] De jolies petites personnes comme ces autres feraient bien mon affaire d'autant plus que le climat excite l'appétit. Hélas! Trois fois hélas! Nous ne disposons pas de tels mets. [...] Extrait du texte d'une des cartes postales

Au delà de la révolte et du dégout que ces images et ces textes suscitent, j'y vois un témoignage cru de la banalisation du mal et du sordide de la domination raciale comme norme, de l'exploitation des corps pour assouvir les fantasmes de puissance de peuples uniquement civilisés à leurs propres yeux et selon des critères définis pas eux-même.

Conclusion

La fondation est un espace accueillant et ouvert, j'ai beaucoup apprécié le parcours de visite, la qualité des oeuvres exposées et leur mise en scène. Des médiateurs et médiatrices étaient présent⋅es pour apporter les explications complémentaires à la compréhension et l'appréciation des oeuvres facilitant leur accessibilité.

Photos en haute définition